JOURNÉES PROFESSIONNELLES DU 3 ET 4 DÉC 2024 LIMOGES

"La démarche éthique des droits culturels implique l’ouverture des lieux de création et d’enseignement artistique aux diverses composantes de la société [et donc] le fait d’accueillir sur la scène ou dans les lieux d’exposition des artistes en situation de handicap visible et invisible. Alors que selon la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques, en 2021, 13% de la population déclare avoir « une limitation sévère dans une fonction physique, sensorielle ou cognitive », on ne voit pratiquement jamais d’artistes en situation de handicap dans les spectacles professionnels ou les galeries. L’offre de propositions artistiques intégrant ces artistes au plateau ou dans les expositions demeure marginale." 

C'est depuis ce constat partagé avec son auteur, Yoann Lavabre, directeur du Glob Théâtre à Bordeaux, à l'origine de la résonance régionale du festival "Imago – cultivons nos singularités !", que nous sommes partis pour initier ces premières journées professionnelles "Inclusivités(s) des formations artistiques & enjeux de la création adaptée" depuis un autre point de la région Nouvelle Aquitaine, à Limoges.

Lors de ces journées, il s’agit non seulement de parler de la nécessaire accessibilité de toutes les personnes aux lieux/formations/outils/pratiques, aux oeuvres et inversement, mais aussi de l’accessibilité des créateurs et artistes en situation de handicap à la reconnaissance de leur statut et de leurs compétences. Le lien à l’enseignement supérieur et spécialisé s’impose comme creuset de cette « création adaptée » qui ne saurait advenir sans ces lieux de formation. 

Ces journées, à Limoges, sont un point de départ, le creuset idéal avec deux écoles supérieures mobilisées et accueillantes, l’ESTU et l’ENSAD et un Conservatoire à rayonnement régional qui en ont fait leur cheval de bataille. Elles comprendront une plongée concrète dans un monde de « création adaptée », nourries par des réflexions de pairs à pairs, des témoignages et des éclairages, comme celui du directeur du CNCA, Thierry Seguin, de Malo Lopez pour la compagnie «Insolite fabrik», d'artistes et de chercheuses.

Ces journées sont organisées conjointement par le ministère de la culture - DRAC Nouvelle-Aquitaine, l'ARS, les Singuliers Associés et le Pôle Culture & Santé avec le soutien des structures accueillantes du CRR, du Théâtre de l'Union - CDN / École Supérieure de Théâtre, de l'ENSAD et de La Broussaille.

LES ÉCHANGES - CAPTATION SONORE

Avec Caroline Lecourtois - DG2TDC Ministère de la culture, Damien Royannais - CRR de Limoges, Virginie Marouzé - Cie tout va bien et modéré par Juliette Rouillon-Durup - DRAC NA. 

Avec Caroline Lecourtois - DG2TDC Ministère de la culture, Thierry Seguin - CNCA, Martin Cros - ETU, Philippe Demoulin - Les Singuliers Associés, Mariella Grillo, AnaïsPascal & Laurent Balutet - CDN de l'Union et modéré par Sabine Gadrat - Doctorante en études théâtrales.

Avec Caroline Lecourtois - DG2TDC Ministère de la culture et Violette Viannais - DGCA Ministère de la Culture

Avec Emma BIGÉ - ENSAD LimogesLou Chavepayre (vidéo)  - Artiste plasticienne, NO ANGER (vidéo) - Artiste plasticien.ne, Olivier Raballand - Réseau T'CAP, Delphine PAUL (vidéo) - EBA NîmesCaroline Chabaud  - Édition Mes mains en or, Jasmine Lebert (vidéo) - 3BISF, Léa Kalaora, Mitia Claisse & Isenau Cottin - La Broussaille et modéré par Françoise Seince - ENSAD Limoges.

 

Avec Thierry Seguin - CNCA.

Avec Malo Lopez - Cie Insolite Fabrick, Claire Durand-Drouhin & Jean-Pierre Rigondeau - Ballet Brut, Léo Kalaora, Mitia Claisse & Martial Belguise - La Broussaille, Èlodie Klugelmann - IMAGO, Philippe Demoulin - Les Singuliers Associés, Virginie Marouzé - Cie tout va bien, Christine Nissim - Surnatural Orchestra et modéré par Thierry Seguin - CNCA

Avec Françoise Seince - ENSAD LimogesLaure Bréaud - Doctorante ENSAD / Université de limogesAude Louzé & Xavier Millon - La Cervelle rose - Dider Goethals - Fondation John Bost, Jean-François Dumont (vidéo) - ESAD Pyrénées, Delphine Etchepare (vidéo)- ESAPB et modéré par Emma Bigé - ENSAD limoges

Par Pascal Lebrun-Cordier - Université Paris 1 et Thierry Seguin - CNCA.


UN MOT DE CONCLUSION

S’ADAPTER À L’EXISTANT 

Synthèse, conclusion et perspective

Par Thierry Seguin directeur du CNCA de Morlaix et grand témoin de ces journées

 

De quoi sommes-nous témoins lorsque nous contemplons une œuvre ? Nous sommes spectateur de la création, qui est l’expression de l’être humain. C’est cette expressivité de l’être qui nous attire, nous bouleverse et nous transforme.

Au cours de ces deux jours consacrés aux pratiques artistiques adaptées, nous nous sommes intéressés à cette expression vivante de l’être. Nous ne mesurons pas encore pleinement à quel point la présence sur la scène artistique d’autrices et d’auteurs singuliers est en train de redéfinir notre rapport à l’art, à l’imaginaire et au monde.

Ces puissances créatrices, souvent invisibles ou à peine connues, ne sont en aucun cas des êtres « diminués », comme la société pourrait parfois le suggérer. Ce sont des individus à part entière, occupant un espace que nous n’avons pas encore appris à prendre en compte et à regarder suffisamment.

Ce que ces deux jours nous ont apporté, en plus du partage d'interconnaissance et de la mise en lumière de nombreuses pratiques, c'est une prise de conscience collective de la nécessité d'une accessibilité intégrée au quotidien. Longtemps, l’accessibilité s’est manifestée à travers une réglementation contraignante, indispensable, et des normes strictes. Aujourd’hui, vingt ans après la loi du 11 février 2005, il est à la fois nécessaire et enthousiasmant de franchir une nouvelle étape vers une accessibilité sensible, pratiquée au quotidien malgré les multiples obstacles, et en étroite collaboration avec les personnes concernées.

Ce que nous enseigne Delphine Etchepare, directrice de l’École supérieure d’art de Bayonne, c’est que l’intégration de la jeune artiste Lou Chavepayre, vivant avec un lourd handicap moteur, s’est déroulée de manière presque identique à celle des autres étudiants, à l’exception de quelques ajustements mineurs au départ. Cette démarche, qui a su surmonter ce qui pourrait ailleurs être perçu comme un obstacle insurmontable, a eu un impact positif tant sur la vie de l’école que sur celle de Lou Chavepayre. Parmi les autres étudiants, elle a pu acquérir les bases d’une formation artistique pour la vie, développer sa pratique et se faire reconnaître en tant qu’artiste.

 

Ce que nous enseigne la théoricienne Emma Bigé, c’est de ne pas nous enfermer dans nos représentations, qui assignent souvent les personnes en situation de handicap à des limitations. En réalité, chacun, qu’il vive ou non avec un handicap, intègrent ces limitations que le mouvement vers l’inclusion cherche à dépasser. C’est également ce que nous rappelle la philosophe Cynthia Fleury : le handicap est un espace de contrainte que la capacité à innover permet de surmonter. C'est pourquoi ces savoirs capacitaires doivent être rassemblés, car ils enrichissent nos connaissances et augmentent notre capacité de s’adapter à l’existant.

 

Derrière chacune des démarches entendues c’est deux jours, se développe une adaptation, un changement de circonstances comme le dirait Fernand Deligny, pour permettre la participation de celles et ceux qui n’avaient pas accès. C’est une hospitalité en acte qui vient augmenter la notion de service public de l’art et la culture.

 

En 2021, un nouveau service a été créé au sein du ministère : la Direction Générale des Territoires et de la Transmission de la Culture (DGTTDC). La même année, le ministre Franck Riester a également lancé le Centre National pour la Création Adaptée (CNCA), avec pour mission de soutenir la création et la professionnalisation des artistes en situation de handicap. Ainsi, que ce soit du point de vue des publics ou de la création artistique, ces deux grandes entités du Ministère de la Culture jouent un rôle essentiel dans la promotion de l’inclusion et de la diversité. L'inclusion culturelle se déploie sur les territoires grâce au travail des conseillers des Directions Régionales des Affaires Culturelles, à l'engagement croissant des collectivités, ainsi qu'à l'implication de plus en plus marquée des acteurs de la culture, de l'enseignement et du secteur social.

 

Ces premières rencontres de Limoges ont mis en en évidence l'intérêt d'une conférence régionale dédiée à l'inclusion des formations artistiques et à la création. Alors que de nouveaux réseaux se développent en France, il apparaît essentiel d’organiser, à l’intersection de l’échelle régionale et des enjeux nationaux, ainsi qu’au croisement de plusieurs politiques (culture, enseignement, social, santé, emploi, aménagement, etc.), des moments de réflexion collective. L’efficacité de ces nouvelles politiques repose autant sur la connaissance mutuelle des acteurs de terrain que sur l’évolution des réglementations nationales.

 

Resteront dans nos mémoires de ces deux jours les « corps ébrieux », ainsi nommés par l’artiste-chercheuse Laure Bréaud, atteinte d'une maladie neurologique inconnue et invalidante ; Le ballet brut avec Jean-Pierre Rigondeau, amputé des membres inférieurs, qui a redécouvert son corps à travers la danse ; l’éclat des mots de l’auteur autodidacte Martial Belguise, écrits à La Broussaille, lieu de résidence et de répit ; l’élan créatif des interprètes d'Insolite Fabrick et de la compagnie Tout va bien ; les créations poétiques et politiques des plasticiennes No Anger et Lou Chavepayre, qui expriment la puissance de leurs corps porteurs d’un handicap moteur. Nous retiendrons aussi les approches novatrices de L’école du théâtre universel en immersion, en langue des signes, de Martin Cros, ainsi que le projet Mes mains en or, maison d’édition de littérature jeunesse adaptée ; ceux du Réseau Imago mettant en avant des artistes en situation de handicap ; Le Collectif T’Cap qui favorise l’accès à la participation sociale des personnes en situation de handicap. Nous n’oublierons pas La Cervelle Rose, qui valorise les capacités créatives et les singularités à travers des projets artistiques collaboratifs ; Surnatural Orchestra, grand orchestre timbré tournée vers les pratiques artistique partagée ; ainsi que l’engagement inébranlable de la compagnie des Singuliers associés pour l’accessibilité des publics et des créations.

 

Encore un très grand merci aux organisateurs de ces journées.